Les cheveux d’Ariane
par: Mona Hébert, homéopathe, naturopathe, herboriste
 

Quand il est insatisfait, le corps parle. Si nous l’écoutons attentivement, il peut nous révéler l’écho de nos douleurs anciennes. C’est pourquoi je cherche, en consultation avec Ariane, à pénétrer dans ses labyrinthes intérieurs. En quête d’une clé pour résoudre son problème, j’ai ainsi pu retracer le fil qui a conduit son corps à s’exprimer de cette façon plutôt que d’une autre.

Ariane perd ses cheveux. « Au début, me dit-elle, j’ai pensé que ce devait être dû à un stress accru au travail, que le port du chapeau d’hiver n’avait fait qu’aggraver. Mais depuis le mois d’avril, malgré une alimentation plus alcaline et les suppléments de levure de bière, de zinc et de silice qui m’ont été conseillés, mes cheveux continuent de tomber abondamment. Des tests médicaux pour vérifier l’état de ma thyroïde et de mes diverses hormones n’ont rien révélé. Mon cycle menstruel est normal et, à 34 ans, c’est de toute façon trop tôt pour penser à la ménopause. Alors voilà : je ne sais plus quoi faire. C’est pour ça que je viens vous consulter. »

Grande, élégante et plutôt réservée, Ariane me raconte méthodiquement son histoire, en se référant au résumé qu’elle a pris soin d’en faire au préalable. Elle ne souffre d’aucune maladie importante, mais je note la présence de certains malaises prémenstruels, de maux de tête occasionnels et d’une tendance à la constipation. Elle se plaint aussi d’avoir toujours la peau sèche, surtout sur les jambes et aux lèvres.

Ariane perd ses cheveux depuis longtemps, son problème est donc d’ordre chronique. Je cherche en vain un événement déclencheur, un traumatisme précis, d’ordre physique ou psychoémotif, qui me permettrait de mieux en comprendre la nature et de prescrire le remède homéopathique adéquat. Toutefois, je ne décèle aucune date marquante pouvant être à l’origine de ses symptômes. Je me mets donc à la recherche d’un indice caractéristique sur sa sensibilité personnelle, son vécu relationnel intime et social, son travail, son enfance, ses difficultés dans la vie.

PAROLES RÉVÉLATRICES

À la fin de la consultation, j’ai retenu et regroupé par thèmes tous les événements significatifs du discours d’Ariane. Ce portrait m’a permis de lui prescrire le bon remède, collant à sa sensibilité : Natrum muriaticum, le sel de mer. Ariane m’a en effet raconté qu’elle n’avait pas d’enfants, parce qu’elle n’avait pas encore rencontré le père idéal. « Je ne voudrais pas, me dit-elle, qu’il souffre de ne pas avoir de père. » Son regard devient songeur, et je sens que nous venons de toucher à quelque chose d’important. Ariane a été mise en pension à la suite du divorce de ses parents. Natrum muriaticum est un grand remède pour les chagrins causés par l’abandon d’un être cher, alors qu’on devient sensible à toute forme de rejet, pour soi ou les autres. Peut-être Ariane n’a-t-elle pas d’enfant parce qu’elle redoute qu’il ait à vivre un jour la même situation ? « De toute façon, j’en côtoie tous les jours à mon travail, ajoute-t-elle, et ils ont tous tant besoin d’amour… » La personne qui a besoin de Natrum muriaticum se ferme souvent et nie sa propre souffrance. Elle compense cet isolement en se dévouant pour les autres et en leur donnant tout ce qu’elle aimerait bien recevoir elle-même.

« Je vis avec Charles depuis trois ans, continue Ariane. Je suis bien avec lui, c’est un bon gars qui partage les tâches. Même que mes amies me jalousent ! Mais avec lui, ça n’a jamais été le coup de foudre. Peut-être est-ce mieux ainsi, on évite la déception… Je sais bien que le conjoint parfait n’existe pas, alors pourquoi ne suis-je pas heureuse avec lui ? Je n’ai jamais pu lui dire tout ce qui me pèse ; je me sens coupable de ne pas l’aimer assez. Quelque part, j’ai tellement besoin d’un contact réel avec l’autre, de parler de vraies choses, qu’il soit ma raison de vivre ! » Elle essuie ses larmes et ajoute : « Je suis triste, mais ce n’est pas important. »

Un autre indice que je lui ai prescrit le bon remède est qu’elle nie, comme c’est habituellement le cas chez les femmes de ce type, l’importance de son chagrin et qu’elle refuse d’être consolée. Elle évite souvent l’engagement amoureux pour ne pas être déçue et souffrir d’être abandonnée une fois de plus. Pourquoi Ariane ne quitte-t-elle pas Charles si elle est insatisfaite ? « J’y pense souvent, me dit-elle, mais je n’ose pas. D’un côté, je suis très autonome et je n’aime dépendre de personne mais, de l’autre, j’ai peur d’être seule. Dois-je suivre mon coeur ou ma raison ? Et puis, je vieillis et je ne me trouve pas séduisante… Vais-je trouver quelqu’un d’autre si je pars ? Je ne veux pas prendre le risque d’être rejetée. » Elle baisse alors les yeux. La personne ayant besoin de Natrum muriaticum a tendance à se déprécier, à justifier ainsi un éventuel rejet pour se persuader qu’il vaut mieux ne pas amorcer une autre relation.

« À l’école, il y a un prof… Avec lui, je suis sûre que ça pourrait marcher, mais il est marié et il a trois enfants. Entre nous, il y a beaucoup de non-dits… Je sais que ça ne mène à rien, mais le lien est là. J’aimerais être une femme plus forte pour mieux maîtriser mes émotions. » La patiente Natrum muriaticum est une spécialiste des amours impossibles, secrètes et silencieuses. Dans ce contexte, il lui faut contrôler et refouler ses émotions, mais cela aggrave encore son état. « Enfant, dit Ariane, j’étais très proche de mon père… Quand il est parti, ma mère a fait une dépression. Alors, adolescente, je me suis occupée d’elle et de mes frères. J’ai appris à m’organiser seule sans compter sur les autres, n’ayant pas eu l’appui de ma famille. » La femme Natrum muriaticum prend de lourdes responsabilités sur ses épaules en aidant les autres, comme si c’était une façon d’oublier sa propre détresse. Le départ du père d’Ariane, alors qu’elle avait sept ans, est un événement clé qui a modelé son profil psychologique. Sa souffrance d’adulte s’articule autour de ce traumatisme initial. Son ancien chagrin non résolu et refoulé est ravivé dans ses relations amoureuses. Le lien brisé, l’amour déçu est un des thèmes centraux des personnalités ayant besoin du remède Natrum muriaticum. Je demande alors à Ariane de me résumer la plus grande difficulté de sa vie. « Je suis tellement sensible… Je dois fermer la porte aux émotions excessives. Quand ça ne va pas, je me replie sur moi-même, je m’isole. En même temps, j’ai une grande force pour m’occuper des autres : j’ai une grande capacité d’écoute, tout le monde vient se confier à moi. C’est vrai que je suis trop généreuse, peut-être pour m’assurer d’être appréciée. J’ai toujours voulu sauver tout le monde… J’ai fait des compromis, j’ai souvent cédé ma place sans m’affirmer. Je ne suis jamais à la hauteur. J’évite les contacts, j’ai peur qu’on me trouve plate, sans intérêt. »

Elle poursuit : « J’aimerais accéder à mon rêve de trouver l’homme qui me convient, mais je ne veux pas être la méchante qui brise la relation et qui fait souffrir l’autre. Sexuellement, j’ai toujours mis une barrière. Je ne me laisse pas aller ; je me suis barricadée dans la tristesse de mon coeur. J’ai plein de vieilles rancunes par rapport à ma famille… Je veux quitter ces lieux de souffrance, être accueillie par quelqu’un avec ma blessure. »

Ariane a confirmé éloquemment tous les thèmes essentiels correspondant au remède que je lui ai prescrit.

L’OBJECTIF : GUÉRIR

Deux mois se sont écoulés lorsqu’Ariane revient en consultation. « Dans la semaine suivant la prise du remède, me dit-elle, j’ai fait plein de rêves, ce qui n’est pas habituel pour moi. Des rêves bouleversants… Avec mon père, avec Charles, avec d’autres hommes qui m’accueillaient… Des rêves sexuels aussi ! Si je regarde en arrière, je m’aperçois que, même pendant la journée, ça brassait en moi… Comme si je faisais un grand nettoyage. Plein de choses sont sorties, face à mon père… C’était comme si j’avais besoin de voir la peine et la colère de mon passé. J’ai été capable d’en parler à Charles et je me suis sentie accueillie pour la première fois. »

Et du point de vue physique ? « Mes intestins vont mieux, je suis plus régulière, ma peau est moins sèche, je ne mets presque plus de crème… Et mes cheveux ! J’en perds encore un peu mais de façon tout à fait normale… J’ai trop perdu de temps, trop attendu, trop hésité ! J’ai l’impression de m’ouvrir pour passer à autre chose. Je suis plus en contact avec ce que je veux garder et ce que je veux éliminer de ma vie. J’ai décidé de me faire plaisir, de commencer à vivre pour moi. »

Qu’est-ce que tout cela a produit chez Ariane ? Laissons-la le raconter : « J’ai senti toutes les cuirasses physiques, j’ai vu le mur que j’ai construit, qui m’entoure et me coupe des autres. Il y a dix jours, un matin, j’ai ouvert les rideaux de la fenêtre de ma chambre et j’ai vu pour la première fois – je le jure, et ça fait trois ans que j’habite à cet endroit – face à ma fenêtre, à deux mètres, un immense, un monstrueux mur de brique… Je ne l’avais jamais remarqué. Alors aujourd’hui, c’est décidé : je déménage ! »

Cet article est tiré du livre « La Médecine des femmes » de Mona Hébert, publié au Éditions du Roseau (2003).